Ikeshima, une île abandonnée des Hommes.

Profitant de quelques jours de vacances en septembre, je décide d’aller explorer la ville de Nagasaki et sa région.

Lorsqu’on arrive dans cette ville deux choses vous sautent aux yeux : son rapport étroit avec la chrétienté et son passé industriel.

Les deux sont un peu liées en fait puisque la présence européenne dans la région aura un impact sur les échanges de technologies et la modernisation de la région. C’est entre autre la terre natale du conglomérat Mitsubishi qui construira cuirassés, avions etc.

Alors quel rapport avec Ikeshima ? C’est que cette industrie pour tourner avait besoin d’un carburant nommé charbon.

Nagasaki est décidément au bon endroit car c’est à son large que l’on va découvrir des sous-sols très riches en ladite matière.

Beaucoup des îles au large de Nagasaki furent donc l’objet d’une exploitation charbonnière intense. La plus connue d’entre elle étant certainement Gunkanjima (l’île cuirassé) mais nous reviendrons sur son cas plus tard.

Laurent Ibanez Derriere la colline ikeshima approche de l'île2

L’île en approche.

 

Ikeshima ne fera pas exception et sera à partir du milieu du XX ème siècle une zone d’exploitation intensive. Ce n’est qu’en 2001 que l’exploitation est finalement interrompue. Pas par manque de charbon (il en reste) mais pour des raisons économiques.

Tout est alors organisé autour du précieux minerai et une ville complète se crée sur l’île.

Une mine de charbon au cœur de l’île : 

Ikeshima littéralement “l’île au lac” tient son nom du lac naturel qui lui donné sa forme si caractéristique. A l’origine on croyait qu’un dieu dragon y sommeillait. Finalement ce lac sacré sera crevé pour laisser place à un port industriel servant à charger le précieux minerai.

C’est en 1955 que les installations modernes sont mises en place et que l’on y perce ce qui deviendra le nouveau cœur de l’île.

Le premier puits creusé descendait à plus de 600 mètres de profondeur entraînant avec lui des mineurs par centaines.

C’est au plus profond de la terre que l’on s’acharne à creuser des tunnels. En cumulé c’est 96 km de galeries qui sont percés. Un vrai système ferroviaire ainsi que des tapis roulants sont mis en place pour amener les hommes toujours plus loin.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima train mine

La mine comporte plusieurs systèmes de trains.

En 1985 un nouvel ascenseur est mis en place dans l’ouest de l’île pouvant descendre jusqu’à 90 mineurs à 650 mètres de profondeur en moins de 100 secondes.

La même année, la mine atteint son pic d’exploitation avec un total d’un million cinq cent trente mille tonnes de charbon extrait de son sous-sol.

Même si la paye est bonne (on peut atteindre des salaires de 700 000 yens à l’époque) la vie et les conditions sous terres sont difficiles.

Une statue est d’ailleurs érigée juste à coté du 2eme puits, son regard tourné vers la terre, vers les mineurs qu’elle doit protéger.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima deuxiéme puit et statue

Je n’ai pas trouvé d’information concernant les accidents qui auraient pu se produire dans la mine pendant ces 50 ans d’exploitation.

Autour de la mine la vie s’organise :

Autour de ce sombre cœur une vie s’organise sur le plancher des vaches. Les hommes viennent seuls ou en famille et il faut bien donner un sens à tout ça.

Avec l’exploitation, le nombre d’habitant aussi augmente. La population atteindra un pic en 1970 avec 7776 personnes recensées.

Il va donc falloir aussi s’occuper de ceux qui restent à la surface. Entre 1953 et et 1978 ce ne sont pas moins de 50 bâtiments qui sont construits pour accueillir les familles des mineurs et du personnel de la mine.

Dans les habitations les plus anciennes et les moins chères, les pièces sont petites et les salles de bain sont absentes.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima intérieur habitation

Un petit appartement garde quelques artefacts du passé.

Pour pallier à ce problème, des bains communaux (sento) sont installés au rez de chaussée des immeubles.

Cela explique alors tous ces tuyaux que l’on voit courir le long des rues dans la ville abandonnée et qui finissent inexorablement par s’engouffrer dans un bâtiment.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima tuyaux d'alimentations en eau

Tout un réseau de canalisation à ciel ouvert court le long des zones d’habitation.

D’autres infrastructures viennent compléter l’ensemble. Il y a bien-sur un hôpital, mais aussi une école, une piscine, des restaurants, des petits bars, un bowling, et même un petit golf.

Tout est fait pour que l’on n’ait pas besoin de quitter l’île (pourtant à une vingtaine de minutes de la côte).

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima ancien bowling

L’ancien bowling.

 

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima dernier hotel

L’ancien hôtel de l’île.

 

La nature réclame ce qui lui revient :

Avec le temps et l’arrêt de l’activité humaine, la nature commence à reprendre ses droits. La température et la forte humidité qui règnent dans la région donnent un sacré coup de pouce à une végétation luxuriante qui commence déjà à recouvrir les constructions humaines.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima facade recouverte

Un joli mur végétalisé.

Le temps semble s’être arrêté et petit à petit les bâtiments même s’effacent formant des collines aux formes étonnantes. Les chemins sont engloutis par les ronces et plantes rampantes.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima allée d'immeubles abandonnés

La nature fini par redonner une belle couleur au béton.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima immeubles à l'abandon

D’ici quelques années tout cela sera complètement recouvert.

 

Si les hommes sont partis, les chats semblent être restés et se plaire sur une île sans maîtres. Ils sont partout, prennent des positions nonchalantes parfois perchés dans des endroits improbables.

Beaucoup sont curieux de notre présence et s’invitent dans les conversations.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima l'ile des chats

Un dernier commerce existe. Les chats ont compris ou se trouve la nourriture.

Les hommes qui restent :

Si l’exploitation s’est arrêtée en 2001 et que beaucoup sont partis, l’île n’est pas parfaitement déserte. Il reste quelques irréductibles.

Ils sont à peu près 132 et l’école compte encore 2 élèves.

Certains sont restés et perpétuent les souvenirs de l’île, expliquant ce qu’était la vie à la mine et sur l’île, d’autre n’ont nulle part où aller et c’est donc ici qu’ils finiront.

Le calme donc, après un demi siècle de tempête.

Il y a encore un feu tricolore toujours en activité qui reste vert sans discontinuer. Tout un symbole.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima dernier feu tricolore

Un feu bloqué au vert.

La question écologique complètement oubliée :

Ce qui fait le bonheur d’un explorateur de ruine fait aussi le malheur de la nature. Il est en effet étonnant que tout soit resté ainsi. Aucun signe de réhabilitation de l’île n’existe. On a juste mis la clé sous la porte et tout laissé en l’état.

Les grues et différentes infrastructures rouillent et peu à peu se délitent. C’est paradoxal surtout lorsque je vous parlais de la place que la nature peut tenir dans la pensée shinto notamment avec cet arbre au milieu d’une gare.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima structures abandonnées

Tout est en train de rouiller sur place.

Finalement cette île est aussi le symbole de l’exploitation que nous faisons de notre monde, concentré sur le moment présent sans se préoccuper des conséquences et de ceux qui restent.

Une visite guidée vraiment utile :

En règle générale, j’évite les visites en groupe. Je préfère découvrir à mon rythme et décider de l’itinéraire.

Pourtant il arrive qu’il y ait des exceptions. Tout d’abord parce que l’île n’est pas parfaitement abandonnée, donc se balader et entrer au hasard dans les bâtiments pourrait gêner les gens qui habitent encore l’île, et parce qu’il s’agit d’une zone industrielle potentiellement dangereuse. Beaucoup d’endroits sont déjà fortement dégradés et c’est prendre des risques inconsidérés que de se rendre là bas sans une personne connaissant les lieux.

De plus ce qui m’attire dans ces endroits c’est surtout son histoire, sans cela il ne s’agit que de bouts de fer et de béton entremêlés et hors un intérêt purement esthétique certain, l’endroit semble beaucoup plus vide

La visite avait mal commencé. La première partie le matin était dédiée à la mine et son histoire. L’idée est bonne mais l’ensemble fait un peu parc d’attraction : mettez vos casques, montez dans le petit train, essayez les outils tour à tour. Heureusement il y avait quelques informations sur la mine et son exploitation (qui vont me permettre d’écrire le chapitre précédent).

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima explication mine

Explication des différentes galeries de la mine.

Cela ne durera pas trop longtemps.

L’après midi on change de guide pour se concentrer sur la vie de l’époque à la surface. Ikeno san est né sur l’île et la connaît donc comme le dos de sa main.

Ancien mineur lui même, on l’a senti avide de partager ce qui a constitué une grande partie de sa vie.

Avec beaucoup de gaieté et d’entrain il nous explique les lieux, les habitants, les habitudes, les choses qui ont disparu, les bêtises qu’il faisait avec ses camarades quand il était enfant.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima panneau faites de votre mieux

Ce panneau qui était situé dans le sens de la descente vers la mine encouragé les mineurs à faire attention. Dans l’autre sens quand ils rentraient un message de félicitations pour leur journée était inscrit.

Les rues semblent alors moins désertes, les bâtiments moins décrépis et la solitude moins pesante.

Tout reprend pour une fois encore vie grâce à cette incroyable personne.

Il nous permit de pénétrer dans certains bâtiments, nous régalant d’anecdotes sur les lieux, les contraintes de la vie sur l’île, les rapport avec les filles, enfin tout ce qui fait la vie d’un jeune homme comme les autres dans un endroit pas comme les autres.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima l'autre puit construit en 1985

Vue sur le deuxième puits. Sur la gauche il y avait un petit practice de golf avant.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima l'école

L’école ne compte plus que deux élèves.

Si vous vous rendez sur l’île n’hésitez pas. Merci Ikeno san. (Il faut préciser que la visite est bien-sûr en japonais mais il est quand même possible de comprendre un peu sans parler la langue).

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima immeubles à l'abandon3

Enfant Ikeno san et ses amis s’amusaient à traverser le pont par en dessous à 5 mètres du sol.

Laurent Ibanez Derriere la colline Ikeshima immeubles à l'abandon4

Ces bâtiment de neuf étages n’avaient pas d’ascenseurs. Ils étaient tous reliés les uns aux autres.

Un mot sur Gunkanjima :

Je visite des haikyo (ruines) depuis 2011 au Japon et Gunkanjima est pour beaucoup une espèce de Graal. Son histoire et son esthétique incroyable en font un lieu qui m’a longtemps passionné. J’ai beaucoup lu à son sujet. Alors forcément j’y suis aussi allé.

On m’avait pourtant prévenu qu’il s’agissait d’une mauvaise idée. A moins d’y aller en clandestin, les visites organisées sont extrêmement encadrées. J’avais lu que des plateformes avaient été installées et qu’il n’était pas possible de les quitter.

Je m’étais dis que c’était mieux que rien et bien j’avais tort.

Pour presque 4000 yens seul l’approche en bateau vous donne une jolie impression du lieu. Une fois débarqué le circuit très court ne vous montre presque rien et la guide se perd en d’interminables et plates explications.

Laurent Ibanez Derriere la colline gunkanjima

Seule la vue du bateau mérite le détour.

Pour le même prix il est largement préférable d’acheter un bel ouvrage traitant du lieu.

Vraiment passez votre chemin et préférez Ikeshima où les gens sont encore rares et les lieux tout aussi incroyables.

8 thoughts on “Ikeshima, une île abandonnée des Hommes.

  1. Vraiment très intéressante que cette visite d’une ville oubliée alors que de par son passé, elle mériterait qu’on l’entretienne un minimum. Encore un magnifique article ! Merci !

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